September 22, 2016:
Certains dinosaures aimaient immodérément le poisson. C’est le cas des célèbres spinosaures comme Baryonyx ou Spinosaurus, au long museau et aux dents coniques : des écailles de poissons à demi digérées ont été découvertes à l’intérieur du squelette de Baryonyx et le crâne de Spinosaurus présente d’édifiantes convergences avec celui d’une semi-murène thaïlandaise comme vient de le rappeler Lionel Cavin (ici), toujours soucieux des misères que des dinosaures ont pu faire subir à ses chers petits poissons.
Les spinosaures étaient bien piscivores, en tout cas partiellement puisque l’on a aussi déjà découvert une dent de spinosaure plantée dans une vertèbre de ptérosaure, ce qui laisse supposer qu’ils étaient des carnivores opportunistes. Piscivores, leurs plus proches cousins l’étaient peut-être un peu aussi : les mégalosaures, qui forment avec les spinosaures le grand groupe des mégalosauroïdes, furent les grands dinosaures carnivores du Jurassique moyen. Rappelons que celui qui donna son nom à cette famille de dinosaures, Megalosaurus, fut le premier dinosaure décrit scientifiquement, en 1824. Les mégalosaures aimaient les habitats côtiers nous rappelle ces derniers jours une équipe internationale de paléoichnologues qui a étudié de nombreuses empreintes de pas de mégalosaures sur les plages jurassiques du Portugal. Dans le Bathonien de Vale de Meios ils ont mesuré plus de 700 empreintes de pas de dinosaures carnivores de grande taille (les empreintes mesurent entre 50 et 60 cm de long et sont attribuées à des mégalosaures), réparties en plus de 80 pistes observables sur une quarantaine de mètres ; la très grande majorité des pistes sont orientées vers le nord-ouest, quelques une vers le sud-est. Or, en cette belle époque du Bathonien, au nord-ouest de Vale de Meios, c’était la mer. Plus précisément, l’étude sédimentologique suggère que nos dinosaures, à marée basse, s’aventuraient sur l’estran où divers animaux marins pouvaient être piégés dans des mares par le reflux. Et donc les mégalosaures allaient en bande à la mer il y a 168 millions d’années, laissant leurs traces sur la plage. Et la mer n’effaça pas, sur le sable, les pas de ces mégalosaures unis. Ce qui a permis à nos paléoichnologues quelques supputations audacieuses.
Ah ces longues marches solitaires, ou à deux, ou quelques un(e)s le long du rivage, en rêvant devant le coucher du soleil… Hélas nos mégalosaures n’avaient ni mojito, ni chaises longues et donc peu de raisons sérieuses de s’attarder à la plage. Ou alors ils nettoyaient l’estran, non de ses bouteilles en plastiques et autres déchets de notre brillante civilisation mais de ses cadavres abandonnés par le jusant, faisant plage nette pour les vacanciers, boulottant tout ce qui traînait comme cadavres d’animaux terrestres, marins, voire aériens échoués, ainsi que des poissons piégés dans des flaques par la marée basse. Dantesque spectacle que tous ces monstres écumant la plage, il y avait là de quoi gâcher les vacances de Monsieur Bulot ! On spécule, on spécule, mais on voudrait des preuves. Vivre au bord de la mer n’implique pas nécessairement de se nourrir de ses fruits. Et la meilleure preuve du régime alimentaire d’un dinosaure c’est toujours de trouver les restes de son dernier repas comme on le rappelait ici. Quoique longtemps négligées elles pourraient exister depuis longtemps ces preuves de l’appétence des mégalosaures pour la gent poissonne. En 1838 en effet, quand Jacques-Amand Eudes-Deslongchamps décrivit le dinosaure normand Poekilopleuron bucklandi, un autre mégalosaure bathonien, il mentionna la présence de dents de requins (soyons précis : une dizaine de dents de Polyacrodus, un requin du groupe des hybodontes). A ce stade on pourrait aussi penser que le Polyacrodus a becqueté la charogne du dinosaure, y laissant quelques dents, mais Jacques-Amand signala aussi des fragments cartilagineux dans la cage thoracique, interprétant l’ensemble comme le dernier repas du Poekilopleuron, les restes plausibles d’une orgie de poissons cartilagineux. On ne peut hélas le vérifier aujourd’hui puisque le squelette de Poekilopleuron s’est volatilisé avec son contenu intestinal et le reste des collections de la faculté des sciences de Caen lors d’un bombardement en 1944…
Le paléontologue français Ronan Allain, décrivant un autre mégalosaure normand (Dubreuillosaurus), a fait remarquer que son squelette avait été découvert dans des niveaux littoraux du Jurassique moyen, tout comme celui de Poekilopleuron. Un argument supplémentaire pour suggérer un habitat côtier, et une possible tendance à taquiner l’hybodontiforme.
Si l’on ne peut que déplorer la perte irrémédiable du squelette de Poekilopleuron et de son contenu stomaco-intestinal, il y a tout de même un faisceau d’indices pour supposer que les mégalosaures, comme les spinosaures, aimaient les embruns et avalaient à l’occasion de la poiscaille.
Références :
Razzolini, N. L. et al. 2016. Ichnological evidence of Megalosaurid Dinosaurs Crossing Middle Jurassic Tidal Flats. Scientific Reports 6, 31494; doi: 10.1038/srep31494
Eudes-Deslongchamps J.-A. 1838. Mémoire sur le Poekilopleuron bucklandii, grande saurien fossile, intermédiaire entre les crocodiles et les lézards, découvert dans les carrières de la Maladrerie, près Caen, au mois de juillet 1835. Mémoires de la Société Linnéenne de Normandie, 6: 1–114.
Allain R. 2005. The postcranial anatomy of the megalosaur Dubreuillosaurus valesdunensis (Dinosauria: Theropoda) from the Middle Jurassic of Normandy, France. Journal of Vertebrate Paleontology, 25 (4): 850–858.
http://www.dinosauria.org/blog/2016/09/22/megalosaurus-et-les-vacances-de-monsieur-bulot/
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