May 31, 2016

by Cedric Torres

Le vrai "Jurassic Park" provençal à l'ère du Crétacé se joue à travers la réserve naturelle ultra-protégée du massif. Plongée au creux du Parc de Roques-Hautes, caverne d'Ali Baba des trésors fossiles cachés sous la craie

La vie trouve toujours un chemin", souffle le docteur Ian Malcolm dans le Jurassic Park écrit par Michael Crichton et David Koepp en 1993. Aucun doute là-dessus, au beau milieu du Parc départemental de Roques-Hautes, non loin d'un Beaurecueil qui porte bien son nom. Mais pour le reste du script, si beaucoup, enfants, font la collection des figurines de dinosaures... "certains restent minots toute leur vie, sortent du film et passent du plastique aux vrais ! Jusqu'à en arriver à ne pas aimer le film de Spielberg, parce qu'il se permet de mêler des espèces de différentes époques dans le scénario !"

C'est le cas de Thierry Tortosa, paléontologue vitrollais spécialiste des dinosaures de Provence, devenu le conservateur de la réserve naturelle de Sainte-Victoire depuis juin 2015, où s'était déroulé déjà un mois de fouilles. Or, pour grimper dans le 4x4 à remonter le temps, "il suffit d'un brin de connaissances et de beaucoup d'imagination..."
La possibilité d'une île

Le massif peint par Cezanne ? Il faut le voir rayé de la carte, dans une Europe réduite à l'état d'archipel, baignant dans des eaux à la chaleur tropicale. À la latitude du Maroc contemporain, les dinosaures trouvent au sein du Parc de Roques-Hautes leur havre de paix en un temps où les pôles terrestres ne sont pas encore pris par les glaces... Et où la France, elle, n'est encore qu'un chapelet d'îles dispersées, qui se métamorphoseront pour laisser place à l'Espagne et à notre Sud.

Puis, pleins feux sur la plus grande d'entre elles, de la taille de Madagascar, où coulent des rivières dignes du Nil : bienvenue dans la Provence oubliée du Crétacé, la dernière ère du Mézosoïque (de -145,5 millions d'années à -65,5 millions d'années). Celle des derniers dinosaures, herbivores paisibles à l'image des Titanosaurus géants ou des plus petits Rhabdodons - les premiers Provençaux ! -, jusqu'aux carnassiers Arcovenators et Variraptors... "Tous trouvaient là le cadre idéal pour leur ponte et faisaient de Sainte-Victoire une maternité à ciel ouvert", explique Thierry Tortosa.

"Sauf que, sur cette île, leur extinction a pu avoir lieu avant les autres, vers - 74 millions d'années. Si on envisage la catastrophe écologique que leur disparition a été à leur époque, ça donne le vertige face aux risques que court la nôtre", observe Michel Bourrelly, directeur de l'Environnement au Conseil départemental. Un CD 13 délégataire de la réserve naturelle, qui cofinance les fouilles du site avec l'État à hauteur d'1 M€ (500 000 € chacun) sur un plan de gestion de cinq ans étalé de 2016 à 2021. Travail de fourmi un mois par an pour l'équipe de Thierry Tortosa et d'Yves Dutour, directeur des collections du Museum d'Aix.
Variraptor versus Pyroraptor : le clash

"Avant les analyses des fossiles prélevés et nos rapports à écrire dès juin, notre mois se termine ce dimanche. Mais sans aucune frustration, vu qu'on a la chance unique de travailler en pleine nature et en ayant du temps. Pas comme dans les fouilles d'urgence ou préventives où tout doit être fait au plus vite et en pleine ville", lâche le conservateur, fier d'avoir pu exhumer 280 oeufs de dinosaures du plus grand gisement de ponte en Europe - rebaptisant Aix "Eggs-en-Provence" au passage - ; il a aussi bon espoir de pouvoir remporter "une vieille compétition paléontologique".

Le Clasico de la discipline en l'occurrence : Variraptor ("le voleur du Var") versus Pyroraptor ("le voleur du feu"). "Lui a été soi-disant 'découvert' après un incendie en 2000 dans la vallée de l'Arc par des Parisiens (Ronan Allain et Philippe Taquet du Muséum de Paris, Ndlr) et ils veulent le faire reconnaître comme un nouveau genre, résume Thierry Tortosa qui, lui, a déjà eu cet honneur avec "son" Arcovenator. Mais les deux sont jumeaux et je pense qu'il s'agit d'une seule et même espèce carnivore déjà dévoilée : le Variraptor, trouvé dans le Var donc, vers Fox-Amphoux en 1998..."

Le hic dans cet OM-PSG au sommet de la paléontologie : les éléments réunis alors "ne sont pas assez complets pour valider cette thèse par la comparaison. C'est donc à celui qui les trouvera avant l'autre que reviendra la victoire !" Course à rebours bien lancée, avec six dents de Variraptor et d'autres membres de ce dinosaure de 3 m de long et d'1,3 m de haut.

Avant le verdict, cet été, les paléontologues plient bagage sur un sédiment d'un kilomètre, qui recèle des milliards d'oeufs. Avec l'espoir rêvé pour 2017 de tomber enfin sur la perle rare : un embryon fossilisé. Et, qui sait, qu'il éclose un beau jour...
Noces d'argile pour un couple de Rhabdodons

Sur les 5 m² de fouilles entamées en juin 2015 sous le soleil de Sainte-Victoire, un premier ornithopode herbivore avait montré le bout de ses écailles... "En un mois, avec cinq spécialistes du Museum d'histoire naturelle, plus l'aide de forestiers et autres agents du CD 13, on est tombés sur une centaine d'os, dont certains appartiennent à ce Rhabdodon et forment une carcasse en très bon état de conservation", rappelle Yves Dutour, paléontologue en chef du Museum aixois.

Une espèce de dinosaure typiquement provençale de 3 à 6 m de long et d'1,7 m de haut, qui broutait, plus ou moins tranquille, dans la jungle verte abondante près des cours d'eau du Crétacé supérieur... Et dont on doit la révélation dès 1869 au père de la géologie dans la région, Philippe Matheron, à Rognac précisément, sur les rives de l'actuel Étang de Berre. "Mais là, il serait comme un fou : on en a découvert un deuxième il y a quinze jours, qui reposait sous l'argile juste à côté ! Cette mise au jour de deux dinosaures fossilisés sur un périmètre si restreint est une première mondiale", confie Thierry Tortosa, qui espère, cet été, déterminer le sexe de ce vieux duo de 74 millions d'années et des poussières.

"Vu leurs positions, il y a de fortes chances qu'ils aient péri ensemble recouverts par le limon" : leur décalage pourrait n'être dû qu'à la tectonique des plaques, les séparant davantage au fil des ans... Les voilà réunis par les liens de la paléontologie. De quoi se faire le film d'un jeune couple dinosaure à la "Jeux d'enfants" d'avant notre ère, brisé en pleine lune de miel ? "S'ils sont bien de sexes opposés, on pourra en rêver", promet le conservateur. En attendant, queue, colonne vertébrale, cou, fémur, tibias, griffes de ses pieds et phalanges de ses mains humanoïdes à cinq doigts... "Tout y est, comme pour le premier... Sauf le crâne ! Si on met la main dessus, grâce à ces deux-là, on aura eu deux premières pour le prix d'une." L'union sacrée.
Les découvertes

Outre les Rhabdodons piscus, les fouilles ont dévoilé des espèces jamais vues ailleurs : un autre couple de tortues, Solemys gaudryi, "les toutes premières terrestres du Crétacé découvertes en Provence, qui ont pu être piégées dans le limon des millions d'années après les autres dinosaures : à creuser", avance Thierry Tortosa. Aussi, en 2009, les fouilles de l'A52 par le MNHAix lui ont fait marquer l'Histoire de la paléontologie en déterrant le plus gros abélisauridé européen, jusqu'à lui donner son nom, Arcovenator escotae ("le chasseur de l'Arc"). Ce, grâce au financement d'Escota/Vinci autoroutes, d'où le suffixe... Et là, un nouveau squelette partiel de ce gros prédateur de 6 mètres de long vient de resurgir. Le doublé, "avec du temps en plus pour mieux le cerner..."